Le moulin d'antan
Le Moulin était d'ailleurs devenu pour moi et mon ami Tahar, une sorte de tremplin. Et puisque je suis là pour évoquer son histoire, alors je vous dirai que l'anecdote que j'ai racontée à propos de la fameuse tentative d'expulsion au cours du printemps de 1958, n'est pas une galéjade. Tahar, l'ami, le compagnon et complice d'alors et moi, étions très attachés au moulin...De sorte que chaque fin de semaine, qu'il pleuve ou qu'il vente, nous venions en Vespa, (svp !..) passer le week-end et parfois avec des prolongatiosn que bous avions baptisées "cas de force majeure". En ce temps-là, rien n'obligeait les motards d'avoir une tenue réglementaire comme le port du casque et nous n'avions surtout pas de protection contre le froid ou la pluie. D'ailleurs, je venais directement de mon lieu de travail, au moulin, en costume ; ce qui ne devait pas vraiment plaire non plus aux autres.
Cependant, parmi le comité d'accueil sympa, il y avait les Thierry fermiers voisins du moulin, qui étaient contents de nous voir si souvent. Nous leur apportions de menus cadeaux et surtout la gaieté et un certain réconfort pour leur dure existence dans cette montagne où ils se sentaient isolés. les Thierry étaient d'autant plus des gens venus du Nord et en avaient bien l'accent! Ainsi chaque week-end, nous allions danser à Etais ou à Entrains. À cette époque, Lainsecq ne présentait aucun intérêt de quel domaine que ce soit, pas même pour s'approvisionner.
Le Moulin est magique, son attraction irrésistible, insoutenable. Y venir était déjà une expédition car bien sûr en ce temps-là, rares étaient ceux qui avaient une voiture ou même une moto. Le trajet en micheline, chauffée par un poêle à charbon SVP, depuis Laroche Migennes était harassant comme un voyage à dos d'âne. Ensuite arrivés à Clamecy, il fallait trouver un autocar jusqu'à Etais, ce qui n'était pas aisé car les autocars Adenin ne desservaient le coin que quelques fois par semaine. Puis pour finir, il fallait prendre à pied le chemin qui grimpe jusqu'à la montagne. L'expédition de Paris au Moulin prenait presque la journée entière.
Le vie au moulin et dans les environs
L'équipement du Moulin était tout à fait rudimentaire : la batterie de cuisine tenait dans une caisse en bois du genre des caisses d'emballage de fruits et légumes. A l'intérieur de la grande pièce, notre seul et unique lieu de séjour, il y avait le minimum de sièges. Mais le scoop résidait dans l'organisation des lieux pour dormir : en ce temps là, seul le dortoir en haut était accessible. Nous dormions dans le foin car rares étaient ceux qui avaient le luxe d'un confortable et onéreux sac de couchage. Le foin était chaud et bon, même s'il était inconfortable, rugueux, grattant, odorant !! Le dortoir était scindé en deux : il y avait le côté filles et le côté garçons car en ce temps-là, nous étions à une époque pudibonde. Les petits bisous étaient permis mais pas les câlins « hot » ou sexy.Pour comble, dehors dans les alentours, il n'y avait pas même le moindre tronc d'arbre pour aller y cacher ses amours, et vivre ses relations, en catimini. Et si, les confidences sur l'oreiller et autres chaleureuses attentions, n'étaient pas de mise, ce n'est que des décennies plus tard, en 68 que les choses évoluèrent. mais on était loin du PACS! Mais ce n'étaient ni les bisous ni les câlins qui pouvaient nous réchauffer outre mesure. Le bois manquait, désespérément car il n'y avait pas de bois aux alentours, ni sapins, ni de charpentier ami pour nous approvisionner : tout au moins quelques brindilles bien humides. Un soir, j'étais tellement gelé d'un voyage hivernal à Vespa, que je fus tenté de recourir aux techniques de Bernard.. Palissy !Plus tard, les choses commencèrent à s'organiser peu à peu. Bob, lui encore, s'activait partout où il allait pour nous apporter quelques équipements permettant confort. Après que le dortoir fut nettoyé, ce fut le tour des granges d'être débarrassées du foin et de tous les vieux matériaux qui les encombraient. Un héritage par çi, une nouvelle acquisition par-là, et voilà que le dortoir, se vit doter de grands lits... puis ce fut la grande pièce du bas: des chaises, des tables, une armada de couverts et de matériel de cuisine. Maurice apporta de son côté des équipements collectifs dont certains résistent encore aujourd'hui. Le confort s'installait peu à peu avec la venue de l'eau, l'aménagement de la voie romaine depuis la départementale jusqu'en bas du Moulin. Puis, les grands projets firent jour: Bob décida de planter une forêt de sapins. Cela représentait pour moi tout un symbole, probablement une forêt d'amitié, voilà ce qu'il désirait avant tout voir ériger et se développer dans ces lieux. Puis, plus tard encore le projet d'extension de l'impact de l'association fut et le mas d'Eyguières près de Salon en Provence.
Pour ceux qui le connaissaient peu, Bob devenait à la fois ce qu'on nommait autrefois, « l'être le plus extraordinaire » que l'on aime rencontrer et connaître, probablement davantage pour les femmes, par sa courtoisie, ses attentions, sa culture et sa chaleureuse spontanéité, et l'enfant prodige à la présence indispensable. Outre le fait d'être créateur c'était un homme infiniment attachant, un poète, une « denrée rare, dans un univers de pénurie » et d'individualisme. Il était le talisman d'une tribu pleine d'illusions, une sorte d'architecte comme ceux qui ont réalisé le tunnel sous la Manche ou le canal de Panama. Une sorte de Ferdinand de Lesseps que complétait son compère Maurice qui lui officiait en tant qu'ingénieur civil à Péronne dans la Somme.
Bob dans ses rêves prémonitoires, ses cogitations, avait dû imaginer cette réalité puisqu'il écrivait :